Mathilde Supe Menu

HORS CHAMPS / OFF CAMERA

2013, HD video, 8min



Mise en scène d'images volées sur un plateau de tournage




Texte de Sophie Lapalu à l’occasion de l’exposition Off The Shores, 2014, Où - Lieu pour l’Art Contemporain, Marseille :
>>> lien vers le site de Sophie Lapalu


Sous le toit d’un manège équestre se déroule un ballet de pinceaux à maquillage et de prises de notes, d’attentes et de négociations. Un projecteur passe, le point se fait. Il va pleuvoir. Il pleut. Le pointeur se poste face caméra… nous sourit. Est-ce bien orthodoxe ? Une femme semble parfois jouer à l’actrice.

Difficile a priori de dessiner les lignes d’une pratique artistique inaugurale ; cependant, si Mathilde Supe n’est qu’à l’esquisse de son oeuvre, les traits en sont déjà fortement prononcés. Assistante décorateur sur les plateaux de cinéma sitôt après avoir obtenu son baccalauréat, son parcours exécute une courbe harmonieuse lorsqu’elle entre à l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts Paris-Cergy. Elle y apprend un autre type de montage, celui de la vidéo. Alors qu’elle travaille sur le montage d’un film où opère Caroline Champetier, la directrice de photographie ayant mené la profession à son excellence, le désir se fait d’un film réalisé avec les chutes, found footage au clair obscur caravagesque. Droits à l’image oblige, le projet est avorté. Pugnace, Mathilde Supe ne se décourage pas : elle rejouera tout puisqu’elle avait tout noté, méticuleusement.

Documentaire ou mise en scène d’un tournage, Hors Champ est assurément un film sur un film qui s’accomplit. A l’encontre de son titre, tout ce qui n’est pas sensé apparaître est ici ajusté, cerné. Nous n’y discernons ni héroïne ni narration linéaire, mais une chorégraphie de bras tendus, de doigts pointés, de textes répétés, de mesures calculées et de blush apposés. Se profile alors le souvenir du visage de Truffaut surgissant au « coupez ! » de la Nuit Américaine… Ici pourtant nous n’entendrons jamais une parole : si le point se fait sur un visage, le son nous mène quant à lui hors du cadre. Gazouillis d’oiseaux, son de pluie, bourdonnements de machines agricoles éloignent notre regard : nous ne sommes apparemment jamais à portée de voix.

Deux ans plus tard, Mathilde Supe assiste Keren Cytter sur un tournage catastrophe, et relate l’aventure dans ce qui ressemble à un journal de bord : Keren Cytter Doesn’t Like to Share (2013). Ce livre a non seulement lui aussi les coutures de la réalisation pour paysage, mais en outre l’expression y est cinématographique. Impossible de délier les deux pratiques : l’écriture se pressent avec l’apprentissage du montage, cette étape décisive où le scenario s’éclate, et où tous les films que l’on aurait pu faire deviennent ceux que l’on ne fera pas.

Rapide, hachée, incisive, Supe décrit New-York comme elle le ferait une caméra à la main, anticipant les instants de suspense, décrivant les différents plans.

« Rampes de parkings, chaînes de remorqueurs… derrière les docks une grande lueur illumine le ciel. Noir à nouveau, crissements, la pression se fait plus forte. »

Ainsi ses films sont muets et ses livres loquaces, mais ni l’un ni l’autre ne sont démonstratifs ; ils suggèrent, supposent, évoquent. À nous de prendre le temps de relier les éléments offerts lorsque la narration se rompt, se tend puis se resserre. Les images remplacent les mots, quand ce ne sont pas ces derniers qui créent les premières. Qu’importe, Mathilde Supe déambule entre eux constamment, et nous avec elle.